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Le blog de reve-de-lune1982

 

11 Septembre 2008 Sangüesa/Izco 17,5 kms

 

          La nuit est agitée pour l’ensemble des marcheurs. Cette mort les préoccupe. La victime était un homme d’à peine 50 ans, dont les enfants étaient encore jeunes. Apparemment il n’avait pas écouté les avertissements de l’infirmière qui accompagnait le groupe lui conseillant d’aller moins vite. Il est décédé d’une crise cardiaque ; la lourdeur du temps avait aggravé la fatigue de la marche.

          Au réveil, l’ambiance est toujours orageuse. Je récupère ma lessive de la veille. Les vêtements ne sont pas tout à fait secs et une grande flaque d’eau s’étale sous le séchoir et à proximité des lits où il est posé. Nous accrochons nos sous-vêtements tels des drapeaux de prière tibétains sur nos sacs à dos afin que le soleil du jour finisse de les sécher. Après un petit déjeuner rapide, à sept heures, nous partons.

           A la sortie de Sangüesa, le sentier se perd dans une colline de fleurs. Les papillons virevoltent, s’enivrent de nectar, ajoutent leurs multiples couleurs mouvantes à celles des fleurs. Le chemin sent bon le fenouil. En arrière-plan une papeterie (Tembec !) est la seule note discordante dans cet éden.

          Je suis fatiguée et j'ai mal au ventre. Catherine est elle aussi fatiguée et a mal à la tête. C’est le quinzième jour de marche. Ce n'est pas un bon jour pour notre relation. Après plusieurs accrochages, nous marchons chacune dans notre bulle.

           Notre silence aiguise notre perception de la nature. Nous admirons le paysage avec plus d’intensité, écoutons des chants d’oiseaux, entendons des martèlements, des grognements et tous les sons qui résonnent dans les prés et les forêts. Tirant avantage de cette leçon de silence, nous décidons, par la suite, de marcher le plus possible sans trop parler afin de donner une autre valeur à notre pèlerinage.

         Montées et descentes, champs et forêts alternent sous un soleil brûlant et une chaleur lourde.

Sur les crêtes des montagnes, vers Izco 11.09.08 11h22des centaines d’éolienne tournent lentement dans le vent. Un lien étrange m'unit à ces géantes. Je les suis du regard comme si j'avais à faire à des entités vivantes. Tantôt elles se montrent dans toute leur splendeur, tantôt elles ne laissent dépasser que leurs têtes couronnées, et parfois elles deviennent complètement invisibles. vers-Izco-11.09.08-11h04.JPGCe jeu m'enchante. Il puise dans la vision de ces "êtres de lumière !" une joie et une énergie positive qui m'amène à sourire et à me dépasser.

         A plusieurs reprises, nous dépassons ou nous nous faisons dépasser par Josiane et Nicole, les Suissesses perdues de vue depuis Unduès. (D’ailleurs, les seuls pèlerins et pèlerines rencontrés depuis le départ de Sangüesa !). Elles sont accueillantes mais discrètes à la fois ; demandant de nos nouvelles mais ne s’imposant pas.  

         A la dernière montée, une route forestière abrupte et empierrée en plein soleil, je constate que Catherine marche difficilement, prise de brûlures insupportables sous les pieds. Cela s’est déjà produit mais il y a toujours eu un petit ruisseau pour apaiser ses souffrances. Je ne sais que faire pour l’aider. Arrivées au sommet, nous nous arrêtons un moment à l’ombre où Catherine peut enlever ses chaussures. Quelle n'est pas ma surprise,  après la pause, de la voir s’élancer tel un cabri, caracolant dans la descente à travers une forêt de pins, s’appuyant sur ses bâtons, les pieds touchant à peine le sol. Je comprends que c’est le moyen qu'elle a trouvé pour atténuer sa douleur. Je la suis tant bien que mal. A cette cavalcade succède un chemin plat, bordé de champs de blé, sous un ciel heureusement envahi de nuages. Le calvaire de Catherine touche à sa fin : Izco est en vue. La course en forêt a secoué sa mauvaise humeur. La soirée s’annonce joyeuse.

         Après donc de nombreux chassés-croisés, Nicole, Josiane, Catherine et moi entrons finalement ensemble dans l’immense salle à manger de l’auberge qui, nous l’apprendrons par la suite, sert aussi de salle des fêtes. Nous nous installons dans un agréable petit dortoir de 8 lits et en attendant l’hôtesse, nous nous dirigeons vers le café associatif attenant à l’auberge. Quelques villageois y sont attablés. Un petit silence attentif se manifeste à notre arrivée puis les conversations reprennent. Nous buvons tranquillement une « clara ». Pendant notre absence, Jean-Marie et Françoise sont arrivés et ont pris leurs quartiers.

         A notre retour au gîte, nous faisons connaissance avec Carolina, l’hôtesse de l’auberge qui est d’une gentillesse absolue. Il n’y a pas d’épicerie dans le village, elle se fait à l’armoire ! En effet, après nos différentes inscriptions, Carolina ouvre en grand des portes d’armoires situées dans la salle à manger à 2 mètres de hauteur et  nous invite à choisir dans les boites de conserve qui restent. Elle n’a pas été réapprovisionnée aussi n’y a-t-il plus beaucoup de choix. Chacun monte donc sur une chaise et choisit ce qu’il désire manger au repas du soir. Catherine a failli prendre des asperges, mais constatant qu’elles arrivent de Taïwan ! les repose pour prendre des haricots verts. Un couple d’espagnol, Graciela et Javier, arrivent sur ces entrefaites et font également leur choix.

         Il est décidé, d’un accord collectif, de partager toute la nourriture des sacs et des achats à l’armoire et de faire un repas commun. Avec sa fougue et sa joie habituelles, Françoise prend la direction des opérations.  Chacun s’active et a à cœur de faire un plat délicieux. Les conversations vont bon train, les paroles volent de la cuisine à la salle à manger et de la salle à manger à la cuisine. Une certaine intimité se fait jour dans le groupe.

         La préparation est brutalement stoppée  par un très violent orage Izco-11.09.08-19h071.JPGet une petite tempête qui seme un vent de panique joyeuse pour récupérer qui ses chaussures, qui son linge restés dehors. Mais quel spectacle !

          Dans la grande salle à manger, trois tables sont accolées. Le couvert est mis comme pour un repas de fête. Les mets préparés sont un délice. Même les asperges achetées par Graciela, dernier choix qu’elle ait eu dans l’armoire ! Françoise et Jean-Marie nous régalent d’anecdotes sur leurs précédents chemins qui datent de plus de vingt ans : Les lits à 3 et même 4 étages. Les pluies dans la Galice. La petite vieille surgissant avec des crêpes dans un village perdu au milieu d’un froid glacial. Les auberges rustiques et froides.        

          Françoise et Jean-Marie, les passeurs, ceux qui vont marquer mon chemin. Je me sens au chaud, couvée par eux. Ce soir là il n’y a pas de peur, pas d’égoïsme mais du don, de la connivence, et de l’amitié.

         Nous nous retrouvons tous les huit dans le dortoir. Une ampoule de sortie de secours étant mal placée et aveuglant Françoise, Jean-Marie en trois mouvements déplace leurs deux matelas au sol et résout simplement le problème. Cerise sur le gâteau, ils sont ensemble au lieu d’être dans deux lits différents. Le bruit des conversations s’espace et chacun part dans ses rêves.

          

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