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Le blog de reve-de-lune1982

Atelier d'écriture de juin 2022 -en aparté- Florence Lenoble

Mon recensement agricole

Celui qui me raconte avec tendresse que trois brebis vendues à plus de 15 km de chez lui sont revenues en dix jours devant leur bergerie ;

Le chien Leonberg qui m’arrive presque à l’épaule qui m’accueille avec beaucoup d’insistance dans une exploitation déserte ;

Celle qui, perdue depuis la mort de son mari, attend les réponses de la bouche de son fils alors qu’elle est la cheffe d’exploitation ;

La cuisine de la ferme qui me rappelle celles vues dans les documentaires de Depardon, sans la terre battue au sol ;

Celui qui me donne 45 minutes pour le questionner, pas une de plus ;

Moi, assise à un bureau croulant sous la paperasse, face à un calendrier des outils Würth : une femme en tenue légère portant un gros outil !

Celui qui a dix week-ends de congés par an, qui les consacre à l’orchestre du Carnaval de Limoux ;

Les frères qui vivent et travaillent ensemble, sans s’entendre le moins du monde, à l’évidence…

Celle qui a des chevaux, mais rien que pour le plaisir ;

« Ça s’y connait, que vous n’êtes pas d’ici ! »

Celui qui a fait un AVC et ne peut plus mener son exploitation arboricole. Celui qui est mort, à moins de 50 ans, je ne sais comment.

« Qu’est-ce qui me prouve que votre carte, elle n’est pas fausse ? »

Celui qui a juré de ne plus jamais répondre à aucun sondage, mais qui me répond quand même, parce que je lui suis sympathique (malgré le masque) ;

Un chaton sur l’ordinateur, un qui tente de rentrer dans ma sacoche… parmi les quinze ou seize que compte la pièce.

Celui dont les chiennes assistent à l’entretien, couchées comme des carpettes, dans le bureau ;

Mélilot, serradelle, lotier : je ne connaissais pas !

Celui qui est salarié, gérant de l’exploitation et qui, fait rarissime, a cinq semaines de congés par an (payées, qui plus est !)

« Les agnelles ont été présentées » … j’ai failli demander « à qui ? » !

Celui dont la fille veut devenir diplomate : elle ne reprendra pas les terres de son père ;

« Des vacances ? Oh ! Oui, en été, il y a des jours où l’on ne travaille pas l’après-midi » ;

Celui qui était routier, puis maçon et qui, devenu éleveur de brebis ne voudrait changer de métier pour rien au monde ;

La retraite agricole… une misère ;

Celui qui me reçoit debout, dans le froid ;

Les dix kilos de graines de vesce offertes pour étouffer le chiendent de mon jardin ;

Ceux qui ont habité Pech Salamou il y a trente ans ;

Des chiens, toujours…des chats parfois aussi ;

Celui qui élève des vaches dont il ne reste que 350 têtes au monde : des  Aure et St Girons ;

La SAU, la SNE, les CIPAN et les CIVE…

Celui dont la femme me dit qu’il n’aime pas compter, avec qui j’ai passé plus d’une heure sur des calculs d’hectares ;

La sérénité de ce couple à l’idée que leur petit-fils, 17 ans, va reprendre l’exploitation.

Celui qui me parle de ce que la Première Guerre mondiale a changé pour les paysans : tracteurs, barbelés…

« Alors ça, c’est bien une question posée par un gars qui travaille dans un bureau ! »

Celui qui, retraité, cultive 6 hectares de vignes, que sa mère nonagénaire voudrait vendre ;

L’ancien élève qui m’a reconnue, quinze ans après.

Celui qui, à la question « avez-vous des outils de détection des chaleurs ? » me répond : « oui, un taureau » ! ;

Le café offert, partagé, apprécié.

Celui qui a 25 000 volailles et me conseille de mettre de la lumière au poulailler si je veux que mes 4 poules pondent ;

« Des congés ? Mais je suis en congés quand je veux ! »

Celui auquel je pose les questions de l’enquête qui répond à mon chef, venu en soutien ;

Le bougon qui a failli me faire faire demi-tour, qui finalement me propose un whisky !

Celui qui travaille 5 jours par semaine à côté de son temps complet sur l’exploitation ;

Une vieille femme – née deux ans après moi pourtant – travaillant seule sur les terres de ses parents ;

Celui qui vit dans une demeure digne d’un roman des sœurs Brontë ;

Des paysages, beaux à en pleurer ;

Chaque exploitation est un monde, dont il me plait d’entrouvrir la porte.

 

Florence LENOBLE,

Novembre 2020

 

 

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