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Le blog de reve-de-lune1982

Perpignan 14 août 1987 10 heures

Voilà...je suis prête. Je vérifie une dernière fois mon sac à dos. Un sac qui a bien vingt ans d’âge. Autant que les vingt kilos… quoi ? vingt kilos ? Mais ça ne va pas la tête ! Bon, il est trop tard pour s’en rendre compte, il va bien falloir les porter !...Il contient pour une randonnée de deux à trois jours : pantalon, anorak, imperméable, camping gaz, etc… Et même, une vieille robe de chambre beigeasse pour remplacer le sac de couchage que je n’ai pas…

Il fait beau et déjà très chaud. Au volant de ma Citroën Visa rouge - et oui ! Célébrée un temps, par la publicité Citroën, voiture volant au-dessus des nuages sur la grande muraille de Chine - je prends la route du lac des Bouillouses. Il n’y a pas trop de monde pour l’instant.

Arrivée sur la route de Prades, cela se gâte. Les ralentissements s’accumulent. J’avais prévu deux heures pour arriver là-haut. Un quatorze août. Quelle illusion ! Même avec une visa rouge volante !

La file de voitures s’allonge. Je suis impatiente de quitter la foule et la chaleur. Heureusement, France Inter m’accompagne agréablement. Les succès des années 70 (année de mes 24 ans !) s’enchainent.

A Mont Louis, je cherche ma direction. Le barrage n’est indiqué nulle part. Je regarde la carte : direction Foumagère. Ah ! Voilà la route. Enfin, à gauche : « barrage des Bouillouses ». A la queue leu-leu, nous montons vers la solitude ! Parking immense, je trouve facilement une place.

Chaussettes et chaussures de montagne aux pieds, sac sur le dos, carte dans les mains, je pars vers ma petite aventure.

La terrasse d’un café me fait signe car j’ai très soif. Allons, plus de dignité. La terrasse est à droite, le chemin à gauche. Allez courage ! Prends à gauche. Un grand panneau de pêche me cache en partie la pancarte mais j’aperçois le mot Carlit. C’est donc mon sentier. Je m’engage à la suite des promeneurs. Je suis un peu désorientée, je ne vois aucune marque rouge et blanche du GR. Je commence à souffler sérieusement. La galère commence bien tôt ! Aucun point de repère. J’avance à l’aveugle.

A un embranchement, un quart d’heure après le départ, je suis perplexe. Je croise une famille de promeneurs. Je leur demande conseil. Mais ils ne me comprennent pas. Ce sont des espagnols. Bien ma veine. Ah ! Chance, le mari parle français et il a une carte. Nous regardons ensemble. Je me suis trompée de côté. Il fallait prendre à droite du café.

- Vous pourriez allez vers le pic Carlitte c’est aussi très beau. Vous êtes seule ? Il faut toujours partir au moins à deux.

- Moi, très condescendante : J’ai l’habitude des randonnées.

En moi-même, je suis un peu énervée par cette réflexion. Je sais qu’il ne faut jamais partir seule. La personne qui devait m’accompagner m’a platement laissée tomber. Alors j’en ai fait mon aventure, A MOI ! Elle croit que je n’en suis pas capable. Ah ! Bien, je vais lui montrer, Moi, si n’en suis pas capable ! Et puis, je veux aussi savoir jusqu’où je peux aller. Comment je vais me débrouiller ? Qu’elles vont être mes peurs ?

Et c’est également vrai que j’ai fait beaucoup de randonnées. Plus depuis quelques années, mais j’ai passé plus de temps en montagne que dans les salles de bal.

Je le remercie, et je retourne vers la terrasse du café. La journée est déjà bien entamée, il est 13h30. J’ai faim et j’ai soif. J’en profite pour manger un sandwich, boire et demander ma direction. Un jeune homme me conduit vers une carte IGN affichée au mur. Il m’indique avec précision le chemin à prendre. J’enfourne deux sandwichs dans mon sac et re-départ.

Grâce aux précisions du jeune homme, je trouve facilement le sentier, mais il n’y a pas avalanche de pancartes ! Simplement les traits rouges et blancs du GR.

Ces traits, je joue à cache-cache avec eux pendant un bon bout de temps, à croire que celui ou celle qui a tracé le sentier manquait de peinture. De ce côté, les promeneurs sont nettement moins nombreux. Le Porteille de la grave, 2426 m, est à 3 heures de marche. Le début est facile : un faux plat au fond de la vallée ; une grande prairie très fleurie avec très peu d’arbres. De temps en temps, des troupeaux de vaches. Parfois des randonneurs. Ce n’est pas la nationale 7, plutôt la départementale d’un petit hameau, un croisement tous les quarts d’heure. Le rite du bonjour (curieusement, en ville les voisins se croisent sans un regard mais ici tout le monde se dit bonjour !).

En contrebas, longeant la rivière, deux jeunes femmes m’accompagnent. Le temps se gâte. Je reçois quelques gouttes. Je sors mon imperméable et mange un morceau. Je n’aimerais pas être prise par l’orage dans ce lieu. Je repars rapidement.

Mes jambes sont anormalement lourdes mais, pour l’instant, j’ai l’impression d’être dans les temps. Le chemin monte plus rudement, je prends mon rythme de montée. La respiration suit bien. A un détour, j’aperçois, après un plat, la côte vers le Porteille. Ménageons nos forces, je remets en roue libre.

Je longe un lac. Des pêcheurs sont « au travail ». Je ne passe pas inaperçue. L’un d’eux, surtout, me dévisage avec insistance. Mon « bonjour » me reste en travers de la gorge. Ses yeux sont vraiment trop malsains. Pour les autres, je salue mais je dois me forcer car je n’aime pas du tout être le point de mire. Lorsque je leur tourne le dos, j’entends l’un deux :

  • Je croyais que c’était ma femme qui venait me chercher.

Le reste se perd dans la nature. Je ne veux pas en savoir plus. Pour les éviter, je fais un grand détour et me retrouve dans un marécage !...

Les pieds trempés, je remonte sur le sentier qui grimpe dur. Les cigarettes, mes quarante ans et le manque d’entrainement commencent à se faire sentir. Il me faut me donner à fond pour arriver au sommet.

Je passe devant le refuge mais il est plein (huit places). Et on me fait comprendre qu’il n’est pas question de rentrer.

Tout autour, des tentes. Je m’installe en contrebas et prépare mon repas. Une soupe et des sandwichs. Je suis mal à l’aise, bien en vue, j’ai l’impression que tout le monde me regarde. Mes gestes ne sont pas naturels.

Pour être à l’abri des regards et ne pas montrer mon indigence, je me hisse au–dessus des tentes et trouve un replat où m’installer pour la nuit. La lumière descend et la température aussi !

Je m’affuble de tous mes vêtements - J’ai l’air d’une gitane au pays d’Heidi - et m’enroule dans ma fameuse robe de chambre en guise de duvet. La nuit tombe, une nuit sans lune, noire d’encre. Parmi les nuages, quelques étoiles surnagent. Les tentes éclairées sont une promesse de chaleur physique et humaine. Pour moi, le sol dur, le froid et la solitude. Les tentes s’éteignent une à une, me laissant avec mes peurs.

Grâce à la fatigue j’ai un peu dormi. Mais le froid me réveille. Je grelotte littéralement et n’arrive pas à trouver une position confortable sur le sol pierreux. Je guette les bruits autour de moi. La peur me tétanise.

De guerre lasse, je me lève, me fais une boisson chaude et piétine d’un pied sur l’autre. Je reste debout le reste de la nuit, aux aguets des moindres bruits, attendant la lumière de l’aube.

Le jour se lève enfin. Le camp s’agite et immédiatement une inquiétude me traverse. D’après ce que j’entends autour de moi, pour continuer il faut contourner le rocher qui surplombe le lac. J’ai le vertige. Il m’est impossible de même envisager d’y aller. Je me renseigne, et, chance, il y a un autre chemin qui part sur la forêt. Ouf !

Une sente très étroite serpente à flanc de montagne. Je me concentre sur mes pas pour ne pas trébucher. Mes chaussures ont également, vingt ans d’âge et ne sont plus très sûres.

Mon vieux sac, non adapté pour la rando, me tire les épaules. Le spectacle est magnifique. Les lacs se succèdent aux lacs. Ce paysage, pendant un temps, me fait oublier ma faiblesse.

J’ai très peu mangé, pas dormi, et une fatigue pesante me tombe dessus. Je me rends soudain compte, au vu de ce qui m’attend, que continuer serait de la folie. Je profite d’une intersection pour redescende dans la vallée. J’arrive sur une route à grande circulation. Je me sens très mal. J’ai très chaud, à la limite de l’évanouissement. Je voudrais m’asseoir mais j’ai peur de ne pas pouvoir repartir. Un commerce de l’autre côté de la route. Je vais chercher de l’aide. Bien mal m’en prend. Au lieu de d’aide je me fais engueuler.

-  quelle idée de partir seule, avec un équipement de misère. Tous pareils ces touristes ! Vous êtes bien arrivée jusque là, maintenant, débrouillez-vous pour rentrer. A un kilomètre d’ici il y a une gare. Prenez le train.

Je suis naïve ou très égoïste, certainement les deux. J’avais espéré qu’on me déroulerait un tapis rouge et que l’on me proposerait de me raccompagner. A ma décharge, je ne me pensais pas si loin de ma voiture.

Le kilomètre me paraît d’une longueur interminable mais, arrivée à la gare, je peux enfin m’asseoir. Pour revenir au lac des Bouillouses, je prends un train de ligne et ensuite le pittoresque petit train jaune qui me raccompagne jusqu’à Font Romeu. Le calvaire n’est pas terminé.

Une trombe d’eau m’accueille à la sortie du train. Des roulements de tonnerre se répercutent sur les montagnes et des éclairs fulgurants fusent autour de moi. Il me reste quatorze kms pour revenir au lac : plus de trois heures de marche. Il est environ seize heures. Dans cette direction, en raison de la pluie, les voitures sont moins nombreuses. Les vacanciers sont plutôt sur le retour. Je marche vite le long de la petite route, aveuglée par la pluie mais je suis très fatiguée. Normalement, je suis très timide, mais là j’ai vraiment besoin d’aide. Je fais du stop. Personne ne s’arrête. Alors je me plante au beau milieu de la route devant une espace. Le chauffeur ne conduit pas très vite et la route étant étroite il ne peut pas faire un écart pour m’éviter. Il est obligé de s’arrêter. Une jeune femme ouvre la porte, pas très contente. Je lui explique succinctement mon problème et si c’était possible de m’accueillir dans leur voiture pour raccourcir mon trajet. Il reste une place dans la voiture. Ils vont jusqu’au parking du lac. Ils acceptent de m’offrir leur hospitalité. Je pousse un soupir de soulagement.

La chaleur de la voiture me berce, je somnole. A l’arrivée, nous nous quittons bons amis.

Durant le trajet jusqu’à Perpignan, je dois faire des efforts pour garder les yeux ouverts.  Lorsque j’arrive à l’appartement que cette amie m’a prêté, je m’écroule sur le lit. Juste le temps d’enlever mes chaussures, je m’endors toute habillée. Pendant deux jours, je suis dans un état second, abruti par la chaleur et la fatigue, entre le sommeil et le rêve.

Je ne me lève que pour grignoter et boire.

Seule, irrémédiablement seule, pour digérer mon échec.

 

 

 

 

 

 

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commentaires
M
Quelle expérience et quel courage! Merci de ce partage. Ouf tu t'en es bien tirée.
Répondre
C
Merci de votre lecture et de vos commentaires.

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